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Prof en galère
30 janvier 2015

Le jour où tout a basculé (hommage à une série culte)

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Jusque là, j'étais un prof ordinaire de LP, sans état d'âme, sans cauchemars, sans médocs. Je jouais consciencieusement mon rôle, en faisant semblant de croire à mes progressions, à mes objectifs, à mes capacités. Je croyais à ma mission éducative.

Ce qui s'est passé ce mercredi-là, je suis sûre que je suis la dernière à m'en rappeler. Il était 10 heures et j'étais restée en classe comme à mon habitude pendant la récréation quand j'ai entendu des cris dans le couloir. Un élève, paniqué, venait me chercher car il y avait une bagarre. Je revois la scène comme si j'y étais, un cercle s'était crée autour de deux jeunes filles. L'une d'elle était à genoux, l'autre la tenait d'une main par les cheveux et de l'autre lui assénait des coups de poing, il y avait du sang, des pleurs, des cris. J'ai agi sans réfléchir, j'ai essayé de m'interposer, j'ai empoigné la furie qui frappait. Elle s'est retournée vers moi, son poing était déjà levé quand une voix derrière a crié " non, pas la prof !", j'ai été poussée, je ne sentais plus rien, j'ai crié aux élèves qui étaient autour de conduire la jeune fille blessée à l'infirmerie et j'ai réussi tant bien que mal à conduire l'autre chez le Proviseu . Devant tous les élèves, elle m'a agoni d'injures, m'a menacée de tout, de s'en prendre à ma famille, à ma maison, à ma voiture.

Très secouée, j'ai fini ma matinée tant bien que mal, et en rentrant chez moi j'ai découvert que ma parka avait été lacérée par des coups de cutter. J'ai rédigé un rapport d'incident et j'ai demandé un conseil de discipline pour l'élève. Je ne doutais pas un instant qu'il aurait lieu.

Le vendredi suivant, j'ai été convoquée solennellement dans le bureau du Proviseur. Il m'a reçue avec son adjoint. Pendant plus d'une heure, ils m'ont expliqué que je ne pouvais exiger un conseil de discipline, que je venais d'un milieu privilégié et que c'est pour ça que la bagarre m'avait choquée, mais c'était une chose ordinaire. Les injures et les menaces ne comptaient pas, elles avaient été proférées sous le coup de la colère. Quant à ma parka, qui sait, c'était peut être à la maison que je l'avais déchirée (la jeune fille se vantait dans tout le lycée, y compris dans le bus scolaire de m'avoir mis des coups de cutter). 

Quelques semaines après, j'ai été convoquée à la police en tant que témoin, la famille de la jeune fille qui avait été battue ayant déposé plainte. Le jour même un conseil de discipline furtif a exclu la coupable.

Je n'avais reçu aucun soutien de ma hiérarchie, aucun soutien de mes collègues.

J'ai tenu quelques mois où je venais travailler la peur au ventre. Souvent le matin, j'avais de la peine à sortir de ma voiture sur le parking. J'aurais donné n'importe quoi pour être malade, pour avoir un accident, pour être à l'hopital, pour ne plus pouvoir venir travailler. Je ne préparais plus rien, je photocopiais des pages de manuel, je donnais des tas de devoirs en classe, tant pis si j'avais des centaines de copies à corriger. Et puis un mardi soir, en quittant le lycée, je me suis fait un pari, si je croisais un camion, je fonçais dedans avec ma voiture. Je n'ai pas croisé de camion, je suis allée chez le médecin et j'ai été arrêtée 3 ans.

 

 

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  • En direct du front : ma vie de professeur de français-histoire-géographie en lycée professionnel,mes élèves, mes collègues, ma hiérarchie,mes fous-rires, mes colères, mes désespoirs....
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