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Prof en galère

3 février 2015

Autorité

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Selon les politiques, il faut restaurer l'autorité des enseignants.

Je travaille tous les jours dans une salle de classe aussi pimpante et propre qu'une cellule des Baumettes, avec en prime sur mon tableau  les stigmates d'une lapidation à coups de piles. Ces traces me rappellent quotidiennement que les élèves peuvent agir en toute impunité et que je n'ai absolument aucun moyen de lutter contre les incivilités en tout genre.

J'avais cette année-là une classe de CAP dont on dit pudiquement qu'elle dysfonctionne dans notre jargon pédagogique. C'est à dire que cette classe était un concentré de jeunes se retrouvant orientés là non en raison de capacités limitées mais pour des motifs disciplinaires. Je m'acharnais à essayer de les faire travailler, indignée par tant de gâchis, mais je n'arrivais à rien. Bien au contraire. Chaque cours était comme un combat dont je sortais vaincue et épuisée. 

Souvent pendant les cours, des crayons volaient, parfois en direction du tableau. Le prétexte étant le prêt de matériel entre camarades . J'en étais arrivée à ne plus oser écrire au tableau, j'essayais au maximum de faire venir  écrire des élèves ( je n'ai pas de rétroprojecteur ). 

Un jour où ,manquant de vigilance, je me tournais pour noter quelque chose, j'ai été presque touchée par des projectiles qui ont frappé le tableau. Choquée, je me suis retournée pour ramasser 4 piles de format LR6 qui avaient été jetées en ma direction et dont 3 avaient touché le tableau en laissant des impacts dans l'ardoise. J'ai cessé de faire cours. Toute la classe s'amusait, quelle bonne blague ! Il faut reconnaître que ma tête incrédule et stupéfaite devait être très drôle. Evidemment, par solidarité et sens moral ("on n'est pas des boucaves!"), personne n'a dénoncé le coupable.

Finalement, après réception individuelle de chaque élève par le proviseur-adjoint, certains ont craqué et ont dénoncé l'auteur du jet, ce dernier a fini par avouer. C'était soi-disant les piles de son appareil photo ( ! ) et ce n'était pas prémédité. Il a été puni par une heure de retenue, ne m'a jamais présenté d'excuses et sa mère a clamé publiquement sur le parking  de l'établissement que j'étais un prof de merde qui ne savait pas se faire respecter.

Quant à moi, j'ai été convoquée chez le proviseur qui m'a conseillé de me mettre en congé maladie. Il a sollicité une inspection. J'ai été inspectée dans la foulée avec la classe en question qui a été pareille à elle-même. Résultat pour moi : mise en place d'un tutorat l'année suivante, soi-disant pour m'aider...Voilà comment l'Education Nationale permet aux enseignants d'assoir leur autorité.

 

 

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2 février 2015

Ma salle de classe Art-Deco tendance vietcong ( merci MC Solaar )

Les photos parlent d'elles-mêmes. Non, ce n'est pas dans un pays du tiers-monde,ni dans une no-go zone . C'est aujourd'hui, en France, le quotidien de certains élèves de lycée professionnel .
IMG_2328                                                                                                  La peinture murale qui s'écaille

 

 

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                                                                                                  Le plafond qui part en lambeaux

 

IMG_2316                                                                                                           Le revêtement de sol 

 

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                                                                                                    Les encadrements de fenêtres

30 janvier 2015

les avantages d'être prof de LP

IMG_2297Si les inconvénients d'être prof de LP sont évidents (et largement évoqués dans mes billets), la situation présente quand même des avantages :

-ne pas voir le contenu de ses cours surveillé par les parents

-avoir tout au long de l'année au moins une classe en stage (et donc autant d'heures de cours en moins)

-avoir des copies très rapides à corriger

-pouvoir manger au restaurant d'application de l'établissement 

-ne presque plus avoir classe dès le mois de mai (absentéisme, CCF, examens, stages)

-avoir à préparer des séquences très light (quoiqu'en y réfléchissant bien, ce n'est pas forcément plus facile de faire simple)

-pouvoir arriver en classe sans rien avoir préparé et faire en vitesse une série de photocopies, découvrir le document en même temps que les élèves sans que ceux-ci ne remarquent rien (je me demande souvent pourquoi je prépare mes cours)

-ne pas avoir la pression de bien remplir le cahier de textes dans pronote, aucun parent ne le consulte

-ne jamais redouter une question un peu retorse d'un élève, question qu'on n'aurait pas préparée et à laquelle on ne saurait pas répondre, puisqu'aucun élève ne s'intéresse aux cours .

 

 

30 janvier 2015

Le jour où tout a basculé (hommage à une série culte)

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Jusque là, j'étais un prof ordinaire de LP, sans état d'âme, sans cauchemars, sans médocs. Je jouais consciencieusement mon rôle, en faisant semblant de croire à mes progressions, à mes objectifs, à mes capacités. Je croyais à ma mission éducative.

Ce qui s'est passé ce mercredi-là, je suis sûre que je suis la dernière à m'en rappeler. Il était 10 heures et j'étais restée en classe comme à mon habitude pendant la récréation quand j'ai entendu des cris dans le couloir. Un élève, paniqué, venait me chercher car il y avait une bagarre. Je revois la scène comme si j'y étais, un cercle s'était crée autour de deux jeunes filles. L'une d'elle était à genoux, l'autre la tenait d'une main par les cheveux et de l'autre lui assénait des coups de poing, il y avait du sang, des pleurs, des cris. J'ai agi sans réfléchir, j'ai essayé de m'interposer, j'ai empoigné la furie qui frappait. Elle s'est retournée vers moi, son poing était déjà levé quand une voix derrière a crié " non, pas la prof !", j'ai été poussée, je ne sentais plus rien, j'ai crié aux élèves qui étaient autour de conduire la jeune fille blessée à l'infirmerie et j'ai réussi tant bien que mal à conduire l'autre chez le Proviseu . Devant tous les élèves, elle m'a agoni d'injures, m'a menacée de tout, de s'en prendre à ma famille, à ma maison, à ma voiture.

Très secouée, j'ai fini ma matinée tant bien que mal, et en rentrant chez moi j'ai découvert que ma parka avait été lacérée par des coups de cutter. J'ai rédigé un rapport d'incident et j'ai demandé un conseil de discipline pour l'élève. Je ne doutais pas un instant qu'il aurait lieu.

Le vendredi suivant, j'ai été convoquée solennellement dans le bureau du Proviseur. Il m'a reçue avec son adjoint. Pendant plus d'une heure, ils m'ont expliqué que je ne pouvais exiger un conseil de discipline, que je venais d'un milieu privilégié et que c'est pour ça que la bagarre m'avait choquée, mais c'était une chose ordinaire. Les injures et les menaces ne comptaient pas, elles avaient été proférées sous le coup de la colère. Quant à ma parka, qui sait, c'était peut être à la maison que je l'avais déchirée (la jeune fille se vantait dans tout le lycée, y compris dans le bus scolaire de m'avoir mis des coups de cutter). 

Quelques semaines après, j'ai été convoquée à la police en tant que témoin, la famille de la jeune fille qui avait été battue ayant déposé plainte. Le jour même un conseil de discipline furtif a exclu la coupable.

Je n'avais reçu aucun soutien de ma hiérarchie, aucun soutien de mes collègues.

J'ai tenu quelques mois où je venais travailler la peur au ventre. Souvent le matin, j'avais de la peine à sortir de ma voiture sur le parking. J'aurais donné n'importe quoi pour être malade, pour avoir un accident, pour être à l'hopital, pour ne plus pouvoir venir travailler. Je ne préparais plus rien, je photocopiais des pages de manuel, je donnais des tas de devoirs en classe, tant pis si j'avais des centaines de copies à corriger. Et puis un mardi soir, en quittant le lycée, je me suis fait un pari, si je croisais un camion, je fonçais dedans avec ma voiture. Je n'ai pas croisé de camion, je suis allée chez le médecin et j'ai été arrêtée 3 ans.

 

 

30 janvier 2015

Evaluation finale en histoire

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Comme j’ai fini de traiter les 4 questions au programme d'histoire en 1ère bac pro, je donne un devoir à faire en classe à mes élèves avant de passer à la géographie

Normalement, une heure consacrée à un devoir devrait être pour le professeur une heure de calme, de silence dans la classe. Je me souviens de mes professeurs corrigeant leurs copies ou lisant Le Monde alors que nous composions.

Je leur demande de choisir entre 4 problématiques et d’y répondre par un paragraphe argumenté (nous travaillons le paragraphe argumenté en français).

Les élèves ont le droit d’utiliser leur cahier. Sur 26 élèves, 7 ont leur cahier. Evidemment, tollé général : «  fallait nous prévenir ! ».

C’est justement pour valoriser les élèves qui ont régulièrement leur cahier, ou qui tout simplement en ont un que j’ai choisi ce mode d’évaluation.

Certains n’ont pas de cahier, mais une ou deux feuilles qu’ils retrouvent bruyamment et recopient vêtement n’importe quoi.

Les élèves tentent alors de me poser des questions sur les sujets .

Ainsi, à propos de Comment la laïcité s’est elle imposée en France depuis 1880 ? : "m’dame est ce que dans les écoles avant y avait des cours de religion?" "m’dame est-ce que c’est la séparation entre l’Eglise et l’état ?". Et concert d’indignations quand je refuse de répondre.

"Eh ! vas-y madame" , "fait chier"  etc …..

Par contre, j’accepte d’écrire au tableau les mots qu’on me demande. Une élève intervient : "comment qu’on écrit méconmant, je veux dire quand on n’est pas content ?", je note au tableau " mécontentement ",  elle réclame " zêtes sûre hein? " , une élève intervient : " je peux pas me concentrer , taisez vous!".Elle s’adresse à moi, et bien sûr, c’est la même qui s’indignera quand je ne voudrai pas répondre à celui qui me dit " j'ai 21 lignes, ça suffit ?" , alors que j'ai écrit au tableau qu'il faut 20 lignes minimum.

Une élève qui ne se fait pas d’illusion a son téléphone portable sur les genoux. Elle préfère consulter ses sms plutôt que perdre son temps sur un devoir.

L'élève qui ne savait pas écrire "mécontentement " ne fait que s’agiter, se retourne pour prendre la copie de son voisin. Excédée, je lui enjoins de se taire, elle me crie : «  calmez vous ! je parle pas là » et elle continue sa discussion . Je la reprends à nouveau, aucun résultat, elle continue, exactement comme si elle était dans la cour. A ma énième remarque (je suis toujours restée calme, parfois je m’admire moi-même pour ma patience), elle répond insolemment :  "bin quoi ! j’ai le droit de lui poser une question, c’est important !" 

Le plus drôle c'est que cette dernière attendait de passer dans le bureau du proviseur, suite à l'avertissement qui lui a été donné au conseil de classe pour son indiscipline...

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29 janvier 2015

Les bonheurs d'une séance de travail sur ordinateur

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Ce matin, travail dans la salle multimédia avec une classe de CAP.

Il s'agissait de les aider à élaborer leur dossier de CCF en histoire-géo. En gros, chaque élève doit réaliser un dossier de 5 pages sur le sujet de son choix (dans le cadre du programme, bien sûr) qui se compose de la façon suivante : une page de présentation avec le titre du sujet, et une problèmatique, 3 documents variés avec leur source et un petit commentaire, une conclusion qui répond à la problématique.

Les élèves avaient au préalable préparé d'abord leur dossier avec leurs manuels (2 heures). Ils avaient également déjà disposé de plusieurs séances de recherche préalable, avec aide de la documentaliste pour réunir les documents séléctionnés qu'ils devaient conserver dans un dossier numérique.

Mon objectif du jour (modeste) était que tous les élèves aient au moins rédigé et imprimé la page de présentation : prénom, nom, CCF, titre du dossier et problématique à la fin de ma séance de 2 heures.

Résultat : une seule page imprimée !

Ce cours pourtant soigneusement préparé par mes soins, chaque élève disposant d'une fiche outil récapitulant la démarche, a été très éprouvant pour moi, j'en suis sortie épuisée.

1O heures, j'accueille les élèves dans ma classe, j'attends une dizaine de minutes les éventuels retardataires et j'accompagne mon troupeau beuglant vers la salle multimédia qui se trouve dans un autre bâtiment. Je me connecte (encore 1O minutes avant d'arriver à ma page d'appel numérique) et là, une élève se décide à me dire que les absents sont bien dans l'établissement mais m'attendent au CDI. Il faut donc environ une demi-heure pour que les 13 élèves de la sections soient tous installés devant un ordi.

Et là, plaintes d'un côté "- M'dame mon ordi y marche pas ! " ... "M'daame j'ai perdu ma feuille !" ..." Madameee ! Mon code y marche pas ! "... "Madaaaameeee ! Je trouve plus mon dossier !" ..." Madameeee, mon ordi y s'est éteint tout seul !"... " Maaadaaameuuuu je comprends pas et je vous appelle et vous venez pas !" et ces " madame! "vont crescendo. Je cours d'un ordi à l'autre, finissant par taper moi même les codes, cherchant les dossiers rangés n'importe où et portant des titres improbables ( "N'oubliez pas, enregistrez dans échange classe et nommez votre dossier, CCF histoire 2015" , j'ai pourtant répété la consigne à chaque élève au dernier cours ), corrigeant les énormes fautes d'orthographe ( "M'dame, c'est juste ,je suis sûr,  j'ai mis le correcteur orthographique" avec la mine dépité de celui qui croit qu'il a raison puisque le correcteur a écrit " Laid riz queue naturel a Lille deux la raie union").

Je me demande quand même de temps en temps s'ils ne le font pas exprès. Comment peuvent-ils être aussi peu efficaces avec les ordinateurs du lycée alors qu'ils sont connectés non stop sur les réseaux sociaux et qu'ils passent leur vie devant leurs écrans entre snapchat et facebook ?

29 janvier 2015

Perles choisies

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 Dans une séance de géographie sur le réchauffement climatique. .A partir de la fameuse photo d'un ours polaire dérivant sur la banquise. Une élève de seconde bac pro : " Mais m'dame, ça existe pas les ours blancs ! C'est dans les pubs coca ! Les ours y sont bruns, pas blancs ! "

Dans une séance de géographie , devant une photographie de Manhattan avec les tours jumelles, je demande aux élèves si les tours sont toujours en place, aucun élève ne réagit. J'évoque le 11 septembre. Silence consterné, ça ne dit rien à personne. J'explique, les attentats,les tours frappées par des avions.  Les élèves en choeur : " On n'a jamais entendu parler de ça, on n'était pas nés !"

Dans une séance d'histoire où on évoque la Révolution française, je demande si quelqu'un connaît le nom du roi, un élève me répond  : "c'est le roi, il n'a pas de nom, on l'appelle sire ".  De l'air du connaisseur qui a vu des films en costume avec des rois et tout . Je précise alors que sa femme, par exemple, doit bien utiliser un prénom pour le nommer.Je demande donc comment elle l'appelle, une élève me répond, tout de go  : " bin,elle l'appelle pas sire, mais chéri !".

 Dans une séance sur les progrès technologiques au XXème siècle, un élève m'interroge  : " Sans déc, m'dame, vous aviez pas de téléphone portable à notre âge ? Vous aviez même pas d'ordi ? Et la télé ,que 3 chaines ? Sérieux ? "  Et là, mine épouvantée et incrédule à la fois, avec une voix pleine de compassion et de frisson rétrospectif à l'idée qu'il aurait pu vivre cet enfer s'il était né plus tôt  : " Comment que vous deviez vous emmerder !"

Une autre fois, sur le même sujet, un élève, stupéfait : " C'est vrai, la télé existait déjà quand vous étiez jeune ? " ( et là, on se sent vraiment très vieux d'un coup.)

28 janvier 2015

Classe de CAP Mac Donald's : Galerie de portraits

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 Gazmir est d'origine albanaise et ne parle pas du tout français. Il vient rarement en cours et n'a aucun matériel. Quand il est là, il essaie de me parler allemand, ce qui fait beaucoup rire la classe. Je ne suis pas sûre que lui trouve cela très amusant. L'an dernier, il paraît qu'il a été scolarisé dans une classe spéciale pour primo-arrivants mais il a beaucoup séché, d'après son professeur de l'an dernier. 

Mina, jeune Marocaine arrivée chez un oncle cet été, comprend à peu près le français, le parle avec un accent terrible mais ne sait pas du tout le lire et écrire. Elle affirme vouloir devenir pâtissière mais elle désespère son professeur de cuisine par sa maladresse et sa lenteur. Un matin, en dépit de l'aide de schémas spécialement dessinés pour elle par le professeur, elle n'a pas réussi à ouvrir une boîte de compote en conserve en deux heures.Tout juste arrivée du bled, elle s'est très vite adaptée à la liberté ambiante et passe son temps à rire avec les garçons de la classe en agitant ses grosses créoles et ses longs cheveux. Arrivée toute timide, elle est désormais bavarde, insolente et provocatrice et ne fait plus aucun effort pour progresser, elle ne quitte pas son téléphone et passe son temps sur les réseaux sociaux dès qu’un ordinateur est à sa portée. 

Prescillia, interne dont la famille vit dans un petit village éloigné, essaie toujours de se coller à mon bureau, elle est très fière de bien travailler (c'est à dire qu'elle recopie proprement ce qu'il y a au tableau). Elle souffre d'une légère déficience mentale comme sa maman, son petit frère est trisomique. Elle aime venir raconter ses malheurs à la fin des cours, sa maman n’a pas pu s'occuper d’elle, elle a vécu en foyer puis chez ses grands-parents. Maintenant, sa maman qui a trouvé un compagnon souhaite la reprendre chez elle mais ses grands-parents ne veulent pas la laisser partir. Elle ne sait plus comment faire, elle doit passer devant un juge aux affaires familiales et tout cela la dépasse. Malgré son jeune âge et son manque de maturité, elle a déjà un copain. Quand il y a eu une épidémie de poux à l'internat, elle a été désignée comme responsable par ses camarades et elle est la cible de moqueries impitoyables sur son physique. Elle semble ne rien remarquer.

John, lui aussi est d'origine rurale et présente des problèmes psys. Il a des attitudes curieuses, difficiles à décrire, assez imprévisibles. Rejeté par les autres, il est capable d'avoir un jour un comportement exemplaire et de se rebeller pour rien le lendemain. Sa scolarité a été normale mais il n'a aucune mémoire et d'énormes difficultés d'organisation. Par moment ,il a des fulgurances, il lance une remarque très pertinente et montre des qualités de compréhension étonnantes. Et puis il retombe dans son état léthargique. Il a de gros problèmes relationnels. Son rêve c'est de devenir un grand chef et il n'a pas compris qu'avec son CAP APR, il est mal parti.

Son seul ami dans la classe, c'est Nolan. Comme les deux garçons sont toujours ensemble, ils sont sans cesse en proie à des moqueries autour de leur supposée homosexualité. Il sort de SEGPA, a cinq frères et soeurs et vit aussi dans un petit village reculé à une heure et demie du lycée. Son écriture est indéchiffrable et quand il recopie un texte corrigé, il fait encore plus de fautes qu'au départ. Je laisse toujours sa copie pour la fin quand je corrige les devoirs de la classe tant son écriture hiéroglyphique me déroute. Complètement mythomane, il raconte des histoires abracadabrantes. Un jour il m'a même dit qu'il avait tenté de tuer son père ! Il a de gros soucis psychomoteurs, s'agitant bizarrement, se préoccupant parfois pendant de longues minutes de sa manche ou d'un stylo. Je dois avouer qu'il me fait peur car il est complètement imprévisible, il est évident qu'il a besoin de soins psys.

Morgan n'a pas du tout les lacunes de ses camarades de classe. En début d'année, à sa grande surprise, il s'est retrouvé avec d'excellents résultats pour la première fois de sa carrière scolaire. C’est un bon gamin, sans difficulté particulière, juste paresseux et indiscipliné qui n’aurait aucun mal à suivre une scolarité « normale » s’il avait un peu de suivi à la maison. Ses bonnes notes ne l'ont pas encouragé, bien au contraire, il a bien trop peur de passer pour un "intello", la pire insulte en LP. Du coup, il s'adapte, il fait le cirque, s'agite et taquine méchamment les autres. Il ne fait plus rien du tout et ne parle plus que d'une chose, partir en apprentissage. De temps en temps, il se révolte et se plaint d’être dans une classe de fous. 

Mathias lui aussi a un profil similaire, issu comme le précédent d'une 3ème de collège, il n'a pas été orienté en CAP par choix (ça n'existe pas en CAP APR, on n'est pas en CAP vitrailliste ou coiffure), ni en raison de ses capacités limitées mais juste parce qu'il était agité, paresseux et que ses parents s'en moquent. Il est intelligent donc il s'ennuie très vite, il bavarde sans arrêt, et se moque avec cruauté des difficultés variées de ses camarades de classe. Il ne supporte absolument pas d'être rappelé à l'ordre et se montre odieux avec moi. Ce d'autant plus qu'il sait que je me suis opposée aux encouragements que voulaient lui décerner les profs de matière professionnelle sous prétexte qu'il est le seul de la classe à savoir travailler un peu en cuisine. Je jugeais injuste qu'un élève méchant et perturbateur soit encouragé à continuer simplement sous prétexte qu'il a de bons résultats grâce à ses (relatives) facilités de compréhension.

Julien, le plus costaud, le plus mature, est un ancien " dur " qui a décidé de se racheter une conduite. Lui a été orienté dans cette section poubelle à cause de gros problèmes de comportement au collège. Il a mûri, il a l'apparence d'un homme et joue au grand frère. Il protège les filles de la classe des aggressions sexuelles, il calme de temps en temps les agités par des menaces qui ont bien plus d'effet que les miennes. Ce qui est particulièrement humiliant c'est quand il vient à la fin du cours me donner des conseils :"Madame, là vous avez été trop gentille, il faut pas laisser untel vous parler comme ça, faut faire un rapport " ou " Faut les séparer, madame, et pas les laisser installés comme ça dans la classe sinon ça sera le cirque ". Souvent je me dis qu'il serait bien meilleur en prof de LP que moi. Après tout, à quoi me sert tout ce que j'ai appris en prépa ou à la fac ? Ce qu'il a appris dans la rue serait bien plus utile pour gérer la classe. D'ailleurs c'est plutôt un concours de gardien de prison, ou à la limite d'animateur qu'on devrait faire passer aux professeurs de lycée professionnel.

Le pire de tous, c'est Joselito. Ce jeune garçon, de très petite taille et de corpulence fluette terrorise toute la classe, y compris les grands gaillards qui mesurent 4O cms de plus que lui et qui pèsent le double de son poids. Il paraît que c'est à cause de ses copains. Il joue le caïd parce que son grand frère est en prison et, dès qu'il est sur un ordinateur, il va compulser les vieilles archives du journal local qui relatent les " exploits" de son frère. Il ne tient littéralement pas en place, il parle très vite, sans cesse, à tort et à travers .Sous couvert du secret, une surveillante m'a expliqué qu'il était suivi et qu'il prenait des médicaments pour soigner son hyper activité mais depuis la rentrée, il a cessé de consulter et il a cessé de prendre ses médicaments . Tant pis pour nous ! Il s'est mis dans la tête que j'étais issue de la communauté des gens du voyage, et ce pour une raison qui m'échappe complètement, en tout cas cela me vaut de sa part un certain respect . Respect très relatif qui ne l'empêche pas de perturber le cours non stop : Il demande sans cesse à sortir de classe, il doit aller impérativement aux toilettes dans la minute, ou alors c'est à l'infirmerie qu'il veut aller, ou à la vie scolaire. Il tente de marchander sans arrêt des privilèges, s'assoir ici, écouter de la musique avec ses écouteurs, manger, boire en cours  et on a beau lui répéter tous les jours que c'est impossible, tous les jours il recommence .

Est-ce que vous imaginez ce que ça représente de donner des cours de français ou d’histoire-géographique à un tel public ?

 

28 janvier 2015

Les CAP Mac Donald's

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J'enseigne (enfin c'est ce que je suis supposée faire) le français et l'histoire-géographie à une classe de CAP APR . 

C'est une des caractéristiques de l'enseignement professionnel d'utiliser des sigles ainsi et de changer ces sigles régulièrement. Si on change les initiales c'est simplement pour ne pas effrayer les parents m'a expliqué il y a longtemps un collègue. Dès que tout le monde, y compris les parents de nos élèves, c'est à dire les gens peu informés, simples, très éloignés des arcanes de l'Education Nationale, comprend qu'à un de ces sigles correspond une classe poubelle, on change simplement le sigle. Ainsi j'ai connu les troisièmes de transition, les troisièmes AS (aide et soutien), les troisièmes EPP (enseignement pré professionnel), aujourd'hui on en est aux troisièmes technologiques.

Pour en revenir au CAP APR , il s'agit du CAP Agent Polyvalent de Restauration. L'agent polyvalent de restauration prend en charge, sous l'autorité d'un responsable, la préparation des repas dans les établissements de restauration rapide ou de vente à emporter, la restauration collective et les entreprises de fabrication de plateaux-repas.

En production, il réceptionne et entrepose les produits ou les plats préparés. Il assemble et met en valeur des mets simples, en respectant la réglementation relative à l'hygiène et à la sécurité. Il les conditionne et remet à température les plats cuisinés.

En service, il assure la mise en valeur des espaces de distribution et de vente ainsi que leur réapprovisionnement. Il conseille le client et lui présente les produits, il procède éventuellement à l'encaissement des prestations.

En entretien, il nettoie et range les ustensiles de production et les locaux.

Ce professionnel doit supporter un rythme de travail rapide et la station debout, tout en restant disponible pour la clientèle.Voilà ce que nous dit l'ONISEP. 

Entre nous, nous appelons ce CAP le CAP Mac Donald's. Le seul problème c'est qu'il ne sert strictement à rien, la restauration rapide emploie de préférence des étudiants un peu plus débrouillards et rapides que nos diplômés.

Cette section de CAP peut accueillir 15 élèves mais elle fait rarement le plein. Donc ,à tout moment, on peut voir arriver de nouveaux élèves, jeunes sans affectation qui en dernier recours sont envoyés dans cette classe. D'autres disparaissent, sans démissionner officiellement et sont donc toujours sur nos listes. Certains même ne sont jamais venus en cours. Cette classe regroupe un ensemble de pauvres jeunes en grande difficulté scolaire et sociale qui auraient besoin d'une aide spécialisée que je suis incapable de pouvoir leur apporter. Pendant les 5 heures où je les ai en cours, je les occupe, sans faire de vague, c'est tout ce qu'on me demande, de les garder en classe. Point.

 

28 janvier 2015

Comment je suis devenue prof en LP

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Prof de LP = sous-prof pour la plupart des gens, en tout cas pour nos prestigieux collègues, certifiés ou a fortiori agrégés.

Ou comme Bernard Campan dans Le pari (oui je sais un peu populaire comme référence cinématographique mais n'oubliez pas que je suis sous-prof !), incapable d'enseigner une seule matière, alors j'en enseigne ( mal ) 4 : le français, l'histoire, la géographie et l'éducation civique.

En fait je me retrouve PLP 2 (le titre officiel des profs de lycée professionnel) par hasard, après être passée par la khâgne, et avoir fait des études d'histoire et d'histoire de l'art. Avec mes licences, ma maîtrise et mon DEA, je ne suis pas donc sous-qualifiée comme beaucoup le pensent. Simplement, comme il n'y avait ni CAPES, ni agrégation en histoire de l'art, j'ai passé plusieurs concours et j'ai eu celui-là. A cette époque lointaine, il était question de revaloriser la filière professionnelle. Après mes médiocres résultats au concours de Normale Sup, je ne me sentais pas capable de décrocher l'agrégation d'histoire (et malgré une année de congé formation, je n'y suis pas parvenue). Quant au CAPES, je n'y ai jamais pensé car je me sens mal à l'aise avec un public plus jeune.

J'ai donc été une bonne élève. Le choc de la rencontre avec les miens n'en a été que plus grand. Et après plus de vingt cinq ans de carrière, je ne m'en suis jamais remise .

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Prof en galère
  • En direct du front : ma vie de professeur de français-histoire-géographie en lycée professionnel,mes élèves, mes collègues, ma hiérarchie,mes fous-rires, mes colères, mes désespoirs....
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